La défiance à l’encontre des médias est manifeste, notamment chez les plus jeunes. Pour la comprendre, la Fabrique de l’Info a donné la parole aux lycéens et à des spécialistes de l’Éducation aux médias.
La débâcle médiatique autour de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès a de nouveau mis en lumière les défaillances d’une profession fortement critiquée. Une rupture déjà actée depuis quelques années par les jeunes. Retour quatre ans en arrière. Nous sommes en janvier 2015 et la rédaction de Charlie Hebdo vient d’être décimée. Dans la foulée de l’attentat, alors que les hommages se multiplient et que de nombreux citoyens témoignent de leur attachement à la liberté d’expression, de jeunes collégiens et lycéens refusent de condamner l’attaque. Stupeur générale…
Najat Vallaud – Belkacem, alors ministre de l’Éducation Nationale annonce toute une série de mesures visant à consolider « les valeurs de la République à l’école ». Parmi elles, renforcer les cours d’Éducation aux médias et à l’information (EMI), imaginés il y a maintenant plus de soixante ans.
Alors que les jeunes se montrent de plus en plus critiques et méfiants envers la presse, nous avons donc décidé d’aller à la rencontre d’une classe de CAP vente, dans un lycée professionnel de Bordeaux. Comment s’informent-ils ? Quel rapport entretiennent-ils avec l’actualité ? Quel regard portent-ils sur le métier ? Font-ils confiance aux journalistes ? Autant de questions auxquelles nous avons trouvé réponse.
Romain
Notre démarche, celle d’instaurer un dialogue entre les élèves et trois étudiants en journalisme, nous a permis de réaliser que les cours d’Éducation aux médias sont aujourd’hui essentiel si la presse veut renouer avec son jeune public. Et ainsi rétablir une confiance mise à mal ces dernières années.
Pendant près de deux heures, les élèves ont montré un intérêt certain, tant pour l’actualité que pour les dessous du métier. Comme dans un cours d’EMI, nous avons tenté de répondre au mieux à leurs interrogations. Un échange des plus intéressants et qui s’est conclu, pour certains, par une vision plus nuancée du journalisme et des journalistes.
Romain
De l’utilité des cours d’Éducation aux médias et à l’information
Romai,n
Comme le souligne Laurence Labardens-Corroy, maître de Conférences à l’université Sorbonne Nouvelle et spécialiste de l’Éducation aux médias, « les enjeux d’un tel enseignement sont pluriels » :
- Ils donnent la possibilité aux élèves de se forger leur propre esprit critique
- Ils permettent de gagner en autonomie vis à vis des médias, notamment en devenant capable de déconstruire les discours médiatiques et les stéréotypes véhiculés
- Ils forment des citoyens éclairés et capables de voter en âme et conscience
Romain
Dans une autre mesure, il s’agit aussi de « faire comprendre aux élèves que le journalisme est un métier avec une éthique et une déontologie. On rappelle que les journalistes ne sont pas que des témoins de leur temps, qu’ils ont pour mission de contextualiser et d’expliquer l’info. Ce sont des intermédiaires qui ont des droits et des devoirs dans l’exercice de leur profession » précise la spécialiste EMI.
Mais s’il est question de développer le sens critique des jeunes et de leur apprendre à débusquer les fausses informations, produites ou non par les journalistes, Laurence Labardens Corroy rappelle toutefois « que les cours d’EMI, ce n’est pas que dire aux élèves qu’il faut se méfier de tout, tout le temps »
Selon la spécialiste, trois thématiques devraient être enseignées en priorité. La première, bien sûr, étant l’apprentissage de la notion de « sources et de tri informationnel ». Un travail sur les stéréotypes et les discriminations, en particulier de genre, doit aussi être effectué. Sans oublié le droit à la déconnexion et la e-réputation.
Romain
Méconnaissance de l’univers médiatique
Romain
« Manque de transparence, déconnecté de la réalité, connivence avec le monde politico-économique… » telles sont les critiques qui reviennent en boucle à l’encontre des médias.
Pour Isabelle Martin, déléguée académique à l’Éducation aux médias d’information au rectorat de Bordeaux,cette défiance envers les médias traditionnels est en partie due à un manque de connaissance du milieu journalistique. Un constat partagé par Jean Berthelot de La Glétais, président du club de la presse de Bordeaux, journaliste et intervenant dans les collèges et les lycées. « Les élèves sont dans une forme de rejet parce qu’ils ne connaissent pas, mais quand on leur explique qu’on est des gens comme eux, avec les mêmes principes, qu’on a une forme de déontologie, une manière d’envisager notre métier qui n’est pas celle qu’ils imaginent, franchement, on réussit à les toucher et à déconstruire certains a priori » explique-t’il.
Pour Isabelle Martin, confronter les élèves à la réalité du métier permet aussi de réduire cette défiance. « À partir du moment où les élèves sont amenés à produire un reportage, ils portent tout de suite un autre regard sur la presse. Ils se rendent compte des contraintes et des exigences du métier. Ils comprennent qu’il est impossible de tout relater et qu’il faut faire des choix » soutient la déléguée académique.
ROomai,
Des cours d’Éducation aux médias loin d’être systématiques
romin
La grande réconciliation se traduirait donc pour les élèves par des temps d’échanges ainsi que par une mise en situation de production de l’information. Certes, l’idée est séduisante, mais la réalité est tout autre. Derrière l’appellation Éducation aux médias et à l’information se cache en fait une diversité de programmes.
Alors que certains vont pouvoir s’initier à la pratique, avec ou sans le partenariat de médias locaux (réalisation de reportages vidéo, club radio, journal et blog étudiant), d’autres, au contraire, restent cantonnés à la théorie (analyse d’articles, réflexion autour de la liberté d’expression, initiation à la lecture d’image…). Tout dépend du bon vouloir des professeurs.
Surtout, si les cours d’Éducation aux médias font partie intégrante des programmes scolaires et plus précisément du socle commun des connaissances depuis 2016, il se trouve qu’une majorité d’élèves, au cours de leur scolarité, n’en bénéficient pas.
Actuellement, seuls deux professeurs par établissements sont nommés référents EMI, ce qui ne permet donc pas de dispenser un enseignement à la totalité des élèves. Et même si des journalistes s’investissent de plus en plus dans ce processus, en allant eux aussi à la rencontre des jeunes, on reste encore loin du compte. Sur 12 millions d’élèves scolarisés, seuls 40 000 ont participé à un cours d’EMI l’année dernière.
ROMAI,
Des ressources variables selon les académies
« Ce qui me frappe, c’est que l’EMI a gagné la bataille idéologique. Désormais, nous savons que c’est nécessaire, mais ça ne se traduit pas par des actes forts. Juste après les attentats contre Charlie Hebdo, la ministre Najat Vallaud-Belkacem avait déclaré « un journaliste dans chaque lycée et dans chaque collège ». On en est extrêmement loin quasiment rien n’a bougé en quatre ans » déplore Laurence Labardens-Corroy.
Selon la chercheuse, cela est à la fois dû « au manque d’universitaires censés former les formateurs, mais aussi au fait qu’il n’existe aucune chair d’Éducation aux médias en France, alors qu’il y en a dans le reste du monde ». A cela, précise-t’elle, » vient s’ajouter un manque de moyens financiers évident ».
D’après Isabelle Martin, les budgets alloués à l’EMI ne sont d’ailleurs pas harmonisés au niveau national. « Je ne suis pas au CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) le plus à plaindre, je dispose de plus de moyens que d’autres, mais en même temps, compte tenu de l’enjeu, notre budget n’est encore pas suffisant ».
Autre disparité, certains CLEMI, comme celui de Bordeaux, sont considérés comme des délégations académiques. Dans l’organigramme, ils apparaissent au même niveau que la culture, le numérique ou encore les relations internationales. « C’est une chance », affirme Isabelle Martin, car je suis en relation directe avec la rectrice. Cela facilite les choses quand on met en place de nouveaux projets. Contrairement à d’autre CLEMI, je n’ai pas d’intermédiaire ce qui permet d’être plus réactif et plus efficace. Je dispose aussi de plus de moyens humains et financiers que j’utilise, entre autres, pour rémunérer des acteurs externes qui interviennent dans le cadre des cours d’EMI ».
Si l’intérêt des cours d’éducation aux médias est aujourd’hui incontestable, sa mise en pratique reste plus aléatoire. Pourtant, selon une consultation citoyenne réalisée par Make.org auprès de 104 000 français, elle serait la troisième priorité identifiée par les citoyens à la question : « Comment les médias peuvent améliorer la société ? » Prendre le temps d’éduquer, sûrement la solution pour entretenir la flamme entre journaliste et public.